Ce billet est rédigé à la suite d’interviews accordés à des médias (ayant consulté le site de CNRS Presse), juste après les élections présidentielles américaines.  Il fait état des principales questions posées par les journalistes ainsi que les réponses données.  L’expression « dark money » est un emprunt au titre d’un remarquable ouvrage (évoqué plus tard dans le billet) donnant sens au résultat des élections.  Quatre thématiques ont été abordées : Expliquer et faire sens du résultat des élections ; l’électorat du président Trump ; l’accueil du retour de Donald Trump à la Maison Blanche par les Américains ; le futur de la transition écologique et solidaire et de l’Accord de Paris avec un président climato-sceptique.

Voici l’essentiel des ces éléments en 6 points (les raisons du succès, l’électorat hétérogène, la finance fantôme, la mobilisation européenne, l’Europe et la Chine, les thématiques absentes).
Bonne lecture !

1. Les 3 raisons du succès Trumpien

Avec 72,6 millions de voix, Donald Trump a dominé Kamala Harris qui en a récolté 67,9 millions : comment expliquer que la société américaine ait assez largement choisi de reconduire Trump à la présidence des Etats-Unis ?

• La baisse du pouvoir d’achat et du niveau de vie d’une partie des ménages de la classe moyenne et des classes populaires en lien avec l’inflation et la hausse des prix de l’alimentation et du logement représentent une des raisons principales du mécontentement vis-à-vis de l’administration démocrate.  Utile de noter cependant que la déception et la frustration du peuple américain s’expriment dans un contexte de croissance économique.
• La crise du logement s’exprime en raison de la baisse de la construction de nouveaux logements et de la hausse des taux d’intérêt pour les primo-accédants, sans oublier l’amertume des ménages ayant été expulsés lors de la crise des Subprimes et le silence du parti démocrate à ce sujet.
• L’arrivée d’immigrés clandestins qui a pour conséquence de perturber le quotidien des habitants.  Trump n’a jamais dit que les immigrés prenaient la place des autochtones sur le marché du travail, il sait très bien que les emplois qu’ils occupent sont délaissés par les Américains.  En revanche il leur reproche d’avoir des pratiques culturelles différentes et pour certains d’entre eux des comportements violents.

La conclusion à la première question : Si les médias et les sondages ont régulièrement dit que le résultat des élections était imprévisible, il importe de se rappeler du slogan diffusé tout au long de la campagne : « We are on the wrong track ».

2. Un électorat hétérogène

Donald Trump a dû ratisser large pour s’imposer avec une telle avance sur sa rivale Kamala Harris : comment qualifier son électorat ?

La force de Trump et sa victoire reposent sur l’hétérogénéité de son électorat qui inclut aussi bien des ménages déçus par le parti démocrate que des milliardaires sans oublier les entreprises de la High Tech.  Il a ratissé large comme vous le dites : les milliardaires espèrent bénéficier d’une sérieuse baisse des taxes aux entreprises, les professionnels de la High Tech souhaitent disposer de nouveaux moyens financiers et d’une grande liberté pour continuer à développer l’IA et l’introduire dans différents secteurs.  Il est certes question de l’économie mais ne pas négliger la dimension politique et son impact sur la vie quotidienne des habitants.

L’hétérogénéité de son électorat associée aux attentes des milliardaires et du secteur de la High Tech représentent à terme un profond bouleversement outre le déni du changement climatique.

3. Les idées libertariennes de la ‘finance fantôme’

Quel rôle a joué le local dans cette élection américaine ?

Expliquer la victoire de Trump revient à mettre en évidence le travail accompli au cours des trois dernières décennies par la Radical Right (RR) qui a infiltré le partir républicain ainsi que tous les niveaux de l’organisation administrative et politique du territoire.  L’ampleur de la mobilisation RR a été financée par les milliardaires des « hedge funds », c’est-à-dire la finance fantôme (shadow banking, dark money).

Dans tous les entretiens, j’ai mis l’accent sur l’expression dark money en faisant référence au remarquable livre de la journaliste Jane Mayer dont la première édition remonte à 2016.  J’ai eu la chance de lire cet ouvrage à la suite d’un de mes séjours aux États-Unis : il m’a été offert par Debbie Redman que je remercie sincèrement.  Debbie est une collègue et une amie rencontrée au début des années 1980 dans le cadre du programme Ph.D. in urban studies à UCLA.

Le titre choisi par Mayer : Dark Money : the hidden history of the billionaires behind the rise of the radical right.  Journaliste au The New Yorker, a mené son travail d’investigation depuis début des années 1980 alors qu’elle travaillait pour le Wall Street Journal.  Son précédent ouvrage, The Dark Side : The Inside Story of how the War on Terror Turned into a War on American Ideals, avait reçu de nombreux prix et la fondation Guggenheim lui a octroyé un financement pour poursuivre sa recherche alors que généralement elle s’adresse principalement aux chercheurs.

Mayer sensible au mouvement de certains intellectuels en faveur des idées libertarienes (État faible autorisant une plus grande initiative de la société civile, c’est-à-dire des entreprises), a choisi d’insister non sur les idées en tant que telles mais sur le financement occulte ayant facilité leur diffusion au sein de la société, du parti républicain et des rouages de l’administration territoriale.  L’introduction de l’ouvrage est centrée sur les investisseurs et le premier chapitre, qui met en scène la famille Koch (les frères Charles et David) s’intitule Radicals : A Koch Family History.   

Comment a été accueilli le retour de Donald Trump à la maison Blanche par les Américains ? 

Les collègues avec lesquels je suis en contact et qui sont en majorité des universitaires sont tristes et se disent « dévastés ».  L’une d’entre elle m’a précisé qu’il fallait à présent s’inspirer des écrits de Vaclav Havel remontant à 1978 et publiés en 1985 sous le titre de The Power of the Powerless.

4. Une possible mobilisation des villes

Donald Trump affiche régulièrement son climatosceptisme :  faut-il s’inquiéter pour la lutte contre le réchauffement climatique ? peut-il réellement stopper la transition écologique ?

Oui bien sûr. Les Etats-Unis sont le deuxième pays émetteur mondial de gaz à effet de serre et le premier producteur de pétrole.  L’élection de Trump ne permet pas de stabiliser le réchauffement au-dessous de 1,5 °C. Il a promis à nouveau de sortir les Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le climat et de supprimer toutes les mesures prises par l’administration Biden.  Rappelons que cet Accord n’a jamais été ratifié par le Congrès américain.

En 2018, soit un an après la présidence Trump, cette thématique avait été travaillée avec une collègue (Martine Azuelos connaît bien le fonctionnement de l’État fédéral) sur la mobilisation des villes et de certains États contre la décision de Trump et publiée dans le blog Skycraper < https://skyscraper.hypotheses.org/269#more-269>.  Relire la deuxième partie (passage en italique) du billet de 2018 en 2024 n’anéantit pas notre inquiétude mais autorise à suivre avec attention, une possible mobilisation de la part des villes.

Local authorities have played a key institutional role in this momentum. Indeed, as the Paris accord relies on countries setting carbon emission reduction targets for themselves and reaching those targets in due time, in the United States the federal government’s withdrawal does not mean that cities or states will be prevented from implementing such targets for themselves. All the more so as environmental policy has been largely developed at the local or state level since the late 1990s.

California Governor Jerry Brown and Michael Bloomberg have launched America’s Pledge on climate change, an initiative to compile and quantify the actions of states, cities and businesses in the US to reduce greenhouse gas emissions consistent with the goals of the Paris Agreement. This was stressed by former New York mayor Michael Bloomberg in the speech he delivered to the European Parliament in Brussels in June 2017:

“It is important for you, and the world, to understand that the fate of America’s Paris pledge does not lie with Congress or the White House”…. “Few people realize it, but the US is already half way to our goal of a 26% reduction in emissions by 2025— and Washington has had almost nothing to do with that progress. Cities, states, businesses, and citizens, were responsible for it.” (Quoted in The Guardian, June 23, 2017).

Through the America’s Pledge initiative and the “We are still in“ declaration, Brown and Bloomberg intend to work to demonstrate continued climate leadership across U.S. society, and that subnational action can significantly reduce U.S. greenhouse gas emissions at a time of limited federal leadership. Following its initial release on June 5, 2017, more than 2,500 mayors, governors, corporate leaders and college presidents had signed the We Are Still In declaration by November 2017 (www.wearestillin.org).

A bi-partisan coalition of 15 States created in June 2017, the U.S. Climate Alliance that claims to represent more than 36% of the US population, at least $7 trillion in GDP and 1.3 million clean energy jobs (www.usclimatealliance.org). The nearly 27,000-square-foot inflatable tent adorned with American flags which housed the U.S. shadow delegation at the COP23 was a mirror of this broad-based coalition.

American mayors of 75 cities representing 42 million Americans have organized the U.S. Mayors National Climate Action Agenda (MNCAA) under the leadership of Los Angeles mayor, Eric Garcetti. They wrote a letter to President Trump to roll back on US Climate Actions (http://climatemayors.org/) on March 28, 2017. They stressed the fact that “climate change represents a growing threat to national security”.

The city of San Francisco illustrates more than any other the willingness to follow the Paris agreement. On June 6, 2017, San Francisco’s Board of supervisors introduced a resolution stating that the city would stay the course and claimed “We are not going to stop doing what we do best”. Since 2008, each of the city’s scores of departments have been required to submit climate action plans.

In 2015, the city measured its greenhouse gas emissions at 28% below 1990 levels —despite the city’s population having grown by nearly 20% since then, with its gross domestic product up by a robust 78%. The plan is now to cut emissions by 40% by 2025 and 80% by 2050.

San Francisco’s reduction goals, says the Business Council on Climate Change’s executive director, are fairly standard among large American cities. But in achieving and surpassing those goals rapidly, the city “is a national leader”. Mayor Edwin Lee —who passed away in December 2017— had set the goal of achieving 50% renewable electricity by 2020 and 100% by 2030 —a commitment that echoes Governor Brown’s 2015 mandate.

A total number of 142 US cities have joined the Global Covenant of Mayors for Climate and Energy (www.globalcovenantofmayors.org) which is co-chaired by Maros Sefcovic, the European energy Commissioner, and Michael Bloomberg, U.N.’s special envoy for cities and climate change. US mayors have been very active in such fora as the International Council for Local Environmental Initiatives, ICCLEI (icclei.org) , C40 (c40.org), and Cities for Climate Action (CCP).

Political coalitions around cities have emerged throughout the United States, in addition to the more traditional campaigns mounted by NGOs like the Sierra Club (set up in 1892) or Friends of the Earth (set up in 1969). Cities and states are reaching out to the world to combat erosion of US leadership over the climate change agenda and promote a « green » global image that they see as a key driver of their competitiveness.

5. L’Union européenne (UE) et la Chine peuvent-ils sauver l’accord de Paris ?

Ce questionnement n’est valable que si le positionnement officiel de l’État fédéral n’influence pas ou ne contamine pas les autres pays, comme la Chine, d’autres pays en Asie ou les pays producteurs de pétrole au Moyen-Orient.  Il nous faudra suivre les débats internationaux se déroulant lors de la COP 27 qui s’ouvre aujourd’hui à Bakou (Azerbaïdjan).

Tout en étant attentifs/ attentives/ aux relations internationales sur la transition écologique et solidaire qu’il nous faut affronter en raison du changement climatique, utile de rappeler les propos du politiste Bertrand Badie.  Cet expert des relations internationales ne cesse d’affirmer combien elles ne sont plus l’apanage de l’État fédéral ou de l’État central mais que les différents niveaux de l’organisation territoriale d’un pays s’impliquent également.

6. Les thématiques absentes

Après avoir évoqué les quatre thématiques, il faut remarquer  l’absence de trois thématiques.

La thématique du vote ethnique n’a pas été retenue par les journalistes, ce qui signifie que la polarisation raciale/ethnique n’est plus comme autrefois aussi déterminante sur les résultats des élections.  Trump a été élu par un électorat hétérogène.

La thématique du vote genré n’a pas été évoquée.  Ce qui s’explique du fait que ce solide argument s’accompagnant de cartes avec les États rouges et bleus n’a circulé que bien plus tard.

La thématique de l’organisation du rôle du parti démocrate, qui contrairement au parti républicain infiltré par la mouvance Radical Right, n’a pas tenté de construire un projet et un discours politiques n’a pas été abordée.  Mais il est vrai que j’avais précisé aux journalistes, au moment des échanges, que je connaissais peu l’histoire des partis aux Etats-Unis.

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