En m’inspirant de L’architecture du possible (Tristan Garcia) et du récent ouvrage de Laurent Berger valorisant et défendant le principe de la négociation dans la vie politique, j’ai rédigé le texte suivant pour répondre à une invitation des organisateurs de la seconde édition du Festival d’Ecologie populaire.
Ce dernier -qui s’est tenu à Bordeaux en juin dans un lieu magique intitulé Le Manuco- et qui relève d’une initiative conjointe de la Fondation pour l’Écologie politique, la Fondation Jean Jaurès, la Fondation Gabriel Péri, l’institut de la Boétie, l’Association Le Lierre, l’Association Alternatives Économiques et Graines Populaires avait pour titre « Écologie, puissances publiques et territoires ».
L’intervention dans le cadre d’une table-ronde présidée par Alexandre Minet (Fondation Jean Jaurès) et réunissant élus et chercheurs m’a permis de reprendre quelques arguments présentés dans deux billets précédents: 30/06/2024 sur le sens à accorder à la transition métropolitaine ; et 20/07/2021, le “tournant” dans la construction du récit métropolitain. Il s’agit ici de démontrer la possible compatibilité entre transition métropolitaine et transition écologique et solidaire, sous certaines conditions.
Le texte rédigé en vue de l’intervention dans le cadre du colloque répond à trois questions :
-(1) D’où je parle ?
-(2) Que faut-il comprendre au juste quand il est question de métropolisation et métropole ?
–(3) Que peut-on en déduire par rapport à la « transition écologique et solidaire », un objectif qui participe du questionnement sur “la mise en œuvre” de la planification écologique et solidaire (telle qu’elle se dessine au niveau national et européen).
I- D’où je parle ?
En tant que chercheur en sciences sociales et plus précisément dans le champ des études urbaines, j’ai toujours travaillé sur la ville que je considère comme la « plus belle grande invention humaine », pour reprendre le titre de l’ouvrage d’un historien de Cambridge. Et dans le cadre de mes travaux de recherche, j’ai privilégié la thématique des transformations de la ville, quels que soient les terrains étudiés (Los Angeles, Minneapolis St Paul, Lyon).
Au sein des études urbaines, je relève de la géographie, une discipline qui s’intéresse à la dimension spatiale de la vie en société et qui présente l’avantage de s’intéresser à la relation environnement naturel/culture sociale et culture politique. Elle différencie la ville minérale de la ville végétale et tend à valoriser la nature en ville depuis que les historiens ont démontré que les espaces verts ont été conçus comme des espaces de rencontre sociale/mixité sociale, dans la ville industrielle dès la fin du XIXe siècle. Tout géographe est par ailleurs en mesure différencier la nature du « sol » de celle du « foncier ». Aussi tout programme visant à renaturer la ville (pour s’adapter au changement climatique pour faire face aux îlots de chaleur) ou toute loi (reprenant une directive européenne) en vue de réduire l’artificialisation des sols (ZAN, Zéro Artificialisation Nette en France) ne représentent pas un défi majeur pour le/la géographe.
Mais la discipline présente le défaut de maintenir l’idée d’une nécessaire réflexion en silos, ce qui est très clair au niveau des instances universitaires, comme le CNU. La géographie semble ’avoir tracé une ligne de démarcation entre géographie urbaine et géographie rurale. Il fut un temps où la géographie urbaine fut associée à la géographie industrielle avant d’acquérir son autonomie. Mais la perspective d’un décloisonnement entre territoire urbain et territoire rural est en train d’émerger chez certains chercheurs et elle participe de la ligne éditoriale de la revue de géographie, l’Information géographique (une revue remontant aux années 1930).
Cette dichotomie entre rural et urbain semble s’effilocher depuis qu’il est question de “sécurité alimentaire” et de “circuits courts”. En tant que chercheur travaillant sur la transition métropolitaine je n’hésite pas à inclure le périurbain, tout en sachant que l’essentiel du tissu urbain en France se retrouve dans les communes rurales.
A partir de ce positionnement, je tente d’interpréter les récentes transformations de la ville.
2-Comment comprendre les processus de métropolisation et la métropole ?
Métropolisation correspond à un processus d’urbanisation mondiale s’opérant dans un contexte de mondialisation et globalisation. Autrement dit, ce processus d’urbanisation est loin d’être indifférent aux processus associés à la globalisation qui correspond à la financiarisation du capitalisme, suite à la politique de déréglementation ayant autorisé la libre circulation des capitaux. Il participe donc de l’idéologie néolibérale, un fait reconnu de tous. (Pour en savoir plus sur la nature de la ville néolibérale et avoir une idée du foisonnement des critiques des dix dernières années, je vous suggérerai de lire l’ouvrage de Gilles Pinson, un livre que je recommande vivement à tous mes étudiants).
Si métropolisation se comprend comme un processus d’urbanisation dans un contexte idéologique néolibéral, le point de vue des chercheurs anglo-américains et français présentent une nuance qu’il convient de prendre en compte. Les sciences sociales aux États-Unis insistent plus qu’en France sur la reconfiguration spatiale de la ville associée à sa restructuration économique de la ville. Nous reconnaissons tous la restructuration économique mais nous avons beaucoup de mal à reconnaître qu’elle a entraîné une reconfiguration spatiale de la ville et de l’urbain.
Ce qui revient à dire que les processus de métropolisation vue sous l’angle de la reconfiguration spatiale ne se limite pas aux seuls périmètres institutionnels, contrairement aux politiques d’attractivité mené par les élus métropolitains. Aussi les habitants du périurbain (exurbs, outer rings) qui habitent le plus souvent dans les communes rurales et dont certains travaillent en ville, peuvent difficilement être dissociés des processus de métropolisation et de ce fait de la métropole. L’économiste Laurent Davezies, sur la base de nombreuses données, a démontré qu’un tiers des salaires versés par les entreprises au sein du périmètre métropolitain de Lyon concerne des personnes habitant en dehors du périmètre métropolitain. Ce qui permet d’en déduire la traditionnelle ligne de démarcation des géographes entre ville et périurbain, ville et campagne a de moins en moins de sens dans l’espace politique.
Aussi Je comprends, j’interprète et je traduis les processus de métropolisation, –outre bien entendu ceux relevant d’une inscription dans les réseaux de la globalisation et la mondialisation–, comme un progressif ré-assemblage de la ville et de la campagne. Ce qui pose une énigme pour la sphère académique/ géographique qui depuis longtemps dissocie les deux univers, dirait Martine Poulot, spécialiste de la campagne avant de démontrer ses transformations dans la proximité de l’urbain.
3-Que peut-on en déduire pour une action publique territorialisée s’inscrivant dans le débat démocratique ? Quelles sont les conditions pour accorder toute sa légitimité à l’institution métropolitaine ?
La transition écologique et solidaire soit la mise en œuvre de la planification écologique et solidaire, l’objectif qui nous réunit s’avère une opération extrêmement complexe pour différentes raisons. Toute transition exige un arbitrage permanent entre trois objectifs. Ces trois objectifs sont : (1= l’adaptation au changement climatique, (2) l’atténuation du changement climatique, soit la décarbonation de l’économie et de nos modes de vie et (3) la préservation de la biodiversité. Ils ne peuvent se limiter aux seuls experts se situant au niveau d’un gouvernement central, il exige un dialogue démocratique tenant compte du social, de l’économique et de la finitude de l’environnement naturel.
3.1-A quelle échelle l’arbitrage démocratique devrait-il se faire ?
Si certaines décisions doivent relever de l’État ou de l’Europe ou encore de la Région, elles peuvent difficilement être mise en œuvre au niveau de la commune.
A partir du constat de la reconfiguration de l’urbain et du rural par les processus de métropolisation ainsi que des entretiens menés auprès de professionnels au sein de l’administration métropolitaine de Lyon et de l’Agence d’urbanisme ainsi qu’aux agents de l’administration de la métropole de Minneapolis-St Paul (Minnesota), je privilégie l’échelle métropolitaine. Il convient de reconnaître la richesse politique de l’expérience métropolitaine.
Avant d’acquérir le statut d’institution métropolitaine, elle fut 1) une intercommunalité dont l’invention remonte dans les années 1960 avant de (2) bénéficier de la politique de décentralisation à partir des années 1980. Ce qui lui a permis de renforcer ses compétences au cours des années en les négociants auprès de l’État.
3.2-Quelles sont les conditions pour privilégier l’échelle métropolitaine, soit l’institution métropolitaine ?
Prôner la pertinence de l’institution métropolitaine n’est pas suffisant. Il faut préciser les conditions. Il faut :
(1) revoir la construction du récit métropolitain (20/07/2021) en documentant le relationnel ville-urbain-périurbain-rural
(2) identifier les outils susceptibles d’assurer un arbitrage fondé sur le principe de justice sociale pour prioriser sur le mode permanent adaptation au changement climatique/ décarbonation de l’économie et des modes vie/ ainsi que préservation de la biodiversité.
(3) Ne plus ignorer les territoires adjacents : ce qui signifie pour le Conseil de la métropole, de se doter d’un vice-président en charge des relations extra-métropolitaines. Ce qui suppose également d’inclure le principe de la négociation, pour reprendre le terme de Laurent Berger, dans toute transaction.
En guise de conclusion : retravailler le récit métropolitain
Les chercheurs ont les moyens de contribuer à faire converger transition métropolitaine et transition écologique et solidaire. Il leur revient :
(1) de documenter le tissu relationnel entre la ville, les banlieues, le périurbain et la campagne. De récents travaux à la suite de ceux de Sabine Barles insistent sur la prise en compte explicite du ” métabolisme urbain” dans la gouvernance métropolitaine. Bien que limité à la seule fonctionnalité métropolitaine, il présente l’avantage de souligner les complémentarités entre territoires et d’enrichir nos connaissances sur le relationnel.
(2) de revoir la construction du récit métropolitain, après avoir tenu compte et souligné la diversité des processus associés à la métropolisation. La poursuite de l’urbanisation dans un contexte idéologique néolibérale est indissociable d’une reconfiguration spatiale du territoire urbanisé et des territoires adjacents. Ce qui signifie éviter de limiter le récit métropolitain à la seule inscription de la métropole dans les réseaux globaux (voir le billet Skyscraper du 30/06/2024 ainsi que celui du 20/07/2021).
Pour citer ce billet : Cynthia Ghorra-Gobin. Transition métropolitaine et transition écologique et solidaire : imaginer leur compatibilité, Skyscraper – Le Blog, 7 Août 2024, [En ligne] http://skyscraper.hypotheses.org/1230
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cynthia Ghorra-Gobin (7 août 2024). Transition métropolitaine et transition écologique et solidaire : imaginer leur compatibilité. Skyscraper. Consulté le 16 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/1258w