Développer la thématique de la contestation urbaine et s’interroger sur la pertinence d’un « tournant » culturel de toute forme de mobilisation correspond à l’ambition d’un appel à propositions (à partir d’études de cas) en vue d’un ouvrage collectif coordonné par Diana Burgos-Vigna (Université de Nanterre, CRIIA, GRECUN) et Cynthia Ghorra-Gobin (CNRS-CREDA-Iheal-Université Sorbonne Nouvelle).
L’appel complet se trouve dans les pages suivantes du billet et la date limite de l’envoi de la proposition est fixée au 30/09/2023.
Le « tournant culturel » de la contestation urbaine
Expériences de villes dans les Amériques et en Europe
El « giro cultural » de la contestación urbana
Experiencias de ciudades en las Américas y en Europa
The « cultural turn » of urban struggles for livelihood
Urban experiences in the Americas and in Europe.
Dans un contexte caractérisé par la mondialisation (intensification des échanges) et la globalisation (financiarisation du capitalisme) des sociologues, politistes et géographes ont mis en évidence l’ancrage du capitalisme financier dans l’urbain (Guironnet, 2022 ; Pinson, 2020) et le dénoncent, à la suite de David Harvey (1989). Mais la condition urbaine est également façonnée par des mouvements de contestation (Castells, 1985 ; Halbert, Pinson & Sala Pala, 2021 ; Lefebvre, 1968). Dans le droit à la ville, Lefebvre rappelle que la ville n’est pas un simple cadre bâti (built environment) structuré par l’urbanisme des réseaux. Ce qui lui permet de faire références aux conflits de classes sociales ainsi que de communités ethniques revendiquant leurs droits sociaux, leur visibilité dans l’espace public et leurs ambitions politiques. C’est dans cette lignée que la thématique des « cultures urbaines » a émergé dans les recherches mettant l’accent sur des cultures au pluriel : elles ne sont plus héritées mais « hybrides » (García Canclini, 1989) ou « métissées » (Martín Barbero, 1987). Les appartenances culturelles urbaines se définissent non seulement comme plurielles mais parfois aussi « fragmentées » et « libérées », ce qui révèle des formes de résistance diverses (Kingman, Salman et Van Dam, 1999)
Ces travaux convergent et autorisent à faire les constats suivants :
- Les nombreuses et diverses initiatives identifiées au niveau local attestent d’une grande créativité culturelle (Swidler, 1986)
- Les pratiques culturelles peuvent être interprétées comme des forme d’expression à mettre en lien avec les questions de citoyenneté : « citoyens urbains » / « street level democracy» (Dabène, 2020)
- Les pratiques culturelles ne se limitent pas aux espaces dans lesquels elles émergent : elles circulent via les diasporas, les migrations, la globalisation, les réseaux sociaux (Canclini, 1989 et Appadurai, 2011, 2015)
- La culture devient aussi un moyen de s’approprier la ville au cours de processus parfois conflictuels, dans des espaces urbains contestés (Gintrac, Giroud, 2014)
- Les actions les plus visibles se déploient principalement dans les grandes villes, les métropoles dites globales étant des espaces particulièrement propices à l’exercice de certaines pratiques contestataires (Sassen, 2002)
Ces pistes nous amènent à poser l’hypothèse d’un lien fort entre mouvements de contestation, pratiques culturelles, espace urbain et circulations transnationales. Elles s’inscrivent dans le sillage des théories des nouveaux mouvements sociaux qui mettent l’accent sur la dimension culturelle ainsi que sur la dimension spatiale dans l’étude des mobilisations. L’ouvrage collectif propose une perspective interrogeant les liens entre contestations, pratiques culturelles et espaces urbains dans un monde globalisé et de ce fait il se veut multi et transdisciplinaire.
Tout en suggérant des articles comparatifs (Amérique du Nord, Amérique latine, Europe) qui insisteraient non seulement sur les concordances ou dissonances, mais aussi sur les connexions, l’ouvrage propose de répondre aux questions suivantes :
- Comment pratiques contestataires et pratiques culturelles interagissent-elles dans l’espace urbain ?
- Comment l’espace urbain est-il approprié dans ces processus ? dans quelle mesure se transforme-t-il ? Et vice versa : comment les pratiques culturelles sont-elles modelées par l’espace urbain dans lequel elles se déploient ?
- Peut-on parler d’un tournant culturel de la contestation dans l’espace urbain ?
A partir d’un cadre théorique s’appuyant sur des concepts relevant de la science politique (contestation), de la sociologie (mouvements sociaux & réseaux sociaux) de la géographie urbaine (dimension spatiale) et des études culturelles (modes d’expression), il s’agit de contribuer au débat scientifique concernant le champ des pratiques culturelles dans les espaces urbains. L’ouvrage s’organise autour de trois thématiques :
- 1-L’art comme répertoire de l’action politique
Le recours à des formes de mobilisations artistiques apparaît comme un répertoire d’action de plus en plus utilisé ces dernières années, notamment dans le cadre des mouvements de revendications pour les minorités ou les droits sexuels, ou encore de luttes pour une diversité de droits allant du droit au logement, en passant par la démocratie participative au droit à la ville. Il s’agit le plus souvent de dénoncer une société capitaliste et patriarcale. Des actions telles que les performances, les happenings et autres deviennent des répertoires d’actions communs, à tel point que le terme d’artivisme est employé pour les désigner (Delgado, 2013 ; Quiroz 2021).
Ce phénomène s’observe dans divers mouvements sociaux à travers le monde, et s’accentue principalement à partir de 2011 avec le 15M à Madrid en 2011 (utilisation du flamenco ou des flashmob) Occupy Wall Street aux Etats-Unis ou encore ou le #YoSoy132 à Mexico en 2012. Les mouvements de contestation rivalisent en créativité pour faire entendre leurs voix et exploitent les potentialités de l’espace urbain. Les mouvements féministes notamment font la part belle aux expressions artistiques (Gil, 2011). A titre d’illustrations, les siluetazos (silhouettes dessinées sur le sol dans le cadre des mobilisations contre la violence de genre) du mouvement Ni una menos, les performances contre les stérilisations forcées des femmes natives au Pérou, en passant par les scènes de théâtre des employées de maison latino-américaines dans les rues de Madrid. L’intégration de formes culturelles dans la contestation s’explique aussi par le fort potentiel émotionnel de ces pratiques qui permet de les inscrire dans la réflexion sur la démocratie des émotions (Blondiaux & Traini, 2023 ; Faure & Négrier, 2022).
- 2-Un mouvement qui a une dimension historique
En Amérique latine, l’utilisation de l’art et plus largement de la culture dans les mouvements de contestation et dans l’espace urbain n’est pas nouvelle. Dès le début du XXe siècle, le muralisme mexicain donne à voir des messages politiques dans l’espace public. Ce mouvement influence de nombreux artistes à travers le continent, prenant des formes diverses selon les contextes politiques nationaux mais toujours avec l’objectif de « conscientiser les masses » via l’appropriation des espaces urbains (Longoni, 2015). La période des dictatures militaires (années 1970 et 1980) confirme cette tendance avec une diversification du recours à l’art dans les mobilisations, affirmant ainsi les pratiques culturelles diverses comme un moyen efficace de mobiliser des symboles (Swidler, 1986) et d’affirmer une appartenance culturelle (Eyerman, Jamison, 1998).
Les pratiques culturelles mobilisées dans les villes en Amérique latine pour signifier une revendication politique circulent et se retrouvent dans les villes d’Amérique du Nord, sous l’influence de Chicanos en Californie du sud ou d’immigrés plus récents, identifiés sous le nom de Latinos ou Hispanics. Ces derniers habitent dans plusieurs villes, de la Floride à la Californie, en passant par Chicago, Denver ou Tucson (Tréguer, 2000). Les Murals de Los Angeles remontant aux années 1930 affirment la présence et l’ambition de groupes de population (ne relevant ni de la culture Wasp, ni de celle de la minorité noire) souhaitant affirmer leurs origines ethniques. Plus récemment, les peintures murales reflètent les aspirations des habitants pour avoir accès à une meilleure éducation ou à de meilleurs logements. Pour l’historien Mike Davis (2000), les Latinos transforment les espaces urbains tout en contestant l’ordre établi. Davis parle d’une « esthétisation » de la ville. Si toutes les sociétés ont une culture politique de la rue, les Angloaméricains font référence à la culture « ethnique ». Il est vrai que la rue a cessé d’être valorisée avec l’émergence des suburbs (Ghorra-Gobin, 2015).
Toujours aux États-Unis, la minorité noire, issue en grande partie de l’esclavage pour assurer une main d’œuvre docile dans les plantations du Sud (avant la récente immigration venue d’Afrique) a fait preuve d’une grande créativité. Elle s’est traduite par la musique, le chant et le rythme, comme le notent les historiens des Negro Spirituals, du Gospel et du Blues soulignant en outre leur émergence dans le monde rural et dans les églises. Ils expriment une révolte relevant du registre musical dans une société raciste. Le Jazz s’inspire de ces musiques et il participe du mouvement de migrations des populations noires du sud vers les grandes villes du Nord, suite à la Guerre de Sécession[1].
- 3-Un mode de contestation dans des espaces urbains interconnectés
Ces pratiques se déploient dans une multiplicité d’espaces. Si elles s’inscrivent dans des espaces urbains souvent bien précis, elles ne se limitent aux lieux dans lesquels elles émergent. En 2019, la diffusion de la performance du collectif chilien Las Tesis (Un violador en tu camino) dans de nombreuses villes du monde atteste du succès de ces nouvelles formes d’action, dont la visibilité est accrue par les réseaux sociaux. Ces derniers contribuent à ce que Erik Neveu appelle la « construction symbolique des mouvements sociaux ». Dans ce contexte, Internet devient non seulement un vecteur mais aussi un lieu d’archivage de ces contestations qui passent de l’espace urbain à l’espace virtuel, construisant ainsi une mémoire digitale de ces pratiques contestataires.
De ce constat découle le questionnement suivant : à l’heure où les villes et les métropoles sont interconnectées en raison des flux migratoires ainsi que de la diffusion de l’information, des idées et des connaissances, comment ces mouvements de contestation s’inscrivent-ils dans des processus de circulation ? Le « street art » par exemple témoigne de la circulation de l’art urbain dans la mesure où il se retrouve aussi bien dans les villes des Amériques que dans les villes européennes, mais aussi dans des espaces virtuels où il peut être resignifié.
Mots-clés : pratiques culturelles, contestation, espaces urbains, réseaux sociaux, circulations, art urbain
Bibliographie indicative
ADAM Matthieu et Emelyne COMBY (ed.), Le capital dans la cité. Une encyclopédie critique de la ville, Editions Amsterdam, 2020
APPADURAI Arjun, Après le colonialisme, Paris, Payot, (traduction Françoise Bouillot), ed. 2015
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BURGOS-VIGNA Diana, « Le droit à la ville en Amérique latine et ses passages transatlantiques », dans Pandora, Revue d’études hispaniques, Paris 8 Vincennes St-Denis, n°15, 2020, pp.141-154.
BURGOS-VIGNA Diana, “Quito, a World Heritage City or a City to live in ?”, City, vol.21, issue 5, 2017, pp. 550-567. http://www.tandfonline.com/doi/pdf/10.1080/13604813.2017.1374774
BURGOS-VIGNA Diana, GHORRA-GOBIN Cynthia, « Villes et culture dans les Amériques », dans IdeAs, Idées d’Amériques, n°17, 2021. URL : http://journals.openedition.org/ideas/10858DOI : https://doi.org/10.4000/ideas.10858
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CANDON-MENA José, « Identidad colectiva y cultura digital en México : del EZLN al movimiento #yosoy132 », Virtualis, 2019.https://www.revistavirtualis.mx/index.php/virtualis/article/view/268/299
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La production de l’espace, 1965.
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TARTAKOWSKY Danielle & al.(ed.), Histoire de la rue: les mutations d’un espace public, Tallandier, 2022.
Transatlantic Cultures, https://www.transatlantic-cultures.org/fr/home
TREGUER Annick, Chicanos : murs peint des États-Unis, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2000.
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- Les propositions (30/09/2023) devront comporter un titre, une problématique en lien avec le cadrage, la mention du ou des terrain(s), quelques références théoriques, les noms, affiliation académique et statut de l’auteur.e . Ils ne devront pas dépasser 3000 signes
- Les réponses seront envoyées la semaine du 15 octobre 2023
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[1] « Conversation avec Henry Louis Gates Jr : les traditions africaines dans les Églises noire américaines », The Conservation, 14 Février 2023. URL : https://theconversation.com/conversation-avec-henry-louis-gates-jr-les-traditions-africaines-dans-les-eglises-noires-americaines-
Voir aussi sur ces sujets la plateforme Transatlantic Cultures qui analyse les échanges culturels entre l’Afrique, l’Europe et les Amériques depuis la fin du XVIIIe siècle : https://www.transatlantic-cultures.org/fr/home
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Cynthia Ghorra-Gobin (10 juillet 2023). Le “tournant” culturel de la contestation urbaine : expériences de villes dans les Amériques et en Europe. Skyscraper. Consulté le 17 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/u7fm